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Difficultés scolaires, une dyslexie ?

Dominique Crunelle, orthophoniste, Docteur en sciences de l’éducation, Lille

Un pourcentage important d’enfants rencontre des difficultés dans l’apprentissage de l’écrit. Ainsi, en France, on considère que 15 à 20 % des élèves qui entrent en 6ème ne maîtrisent pas les apprentissages fondamentaux, lire-écrire-compter.

Devant ce constat, on constate des professionnels deux attitudes opposées, extrêmes et donc dangereuses : celle qui consiste à imaginer que tout enfant en difficulté à l’écrit est dyslexique, celle, au contraire, qui nie l’existence d’un tel trouble, ne permettant pas à ceux qui en sont atteints de bénéficier des aides utiles.

Pour pallier à de telles dérives, il est essentiel que tout professionnel de l’éducation soit suffisamment informé sur les possibles origines de difficultés à l’écrit et sur ce qui, parmi elles, permet d’identifier ce qui caractérise la dyslexie.

Nous considérons que les difficultés à l’écrit peuvent avoir quatre origines possibles, malheureusement parfois cumulées :

La première, correspond au trouble spécifique d’acquisition des mécanismes de l’écrit qui caractérise les dyslexies-dysorthographies. Le décodage n’est pas automatisé et ne permet pas à l’élève de se mobiliser sur la compréhension d’un message. 3 à 5 % des enfants scolarisés présenteraient de tels troubles (INSERM – 2007)

Des difficultés d’ordre psycho affectif (refus du système scolaire, autodépréciation, manque d’intérêt) peuvent, par ailleurs, être à l’origine de difficultés scolaires. Ces difficultés peuvent être liées à une immaturité, un vécu d’adolescence difficile mais peuvent aussi avoir une origine psychosociale. Certains enfants vivant alors dans un milieu défavorisé, sont plongés dans des problèmes économiques, parfois dans les conflits familiaux et ne peuvent s’investir dans leur scolarité. Leurs conditions de vie perturbent l’organisation de leur pensée et leur structuration psychique (Piquart et al, 1987 – Lacoste, 1994). L’appétence aux apprentissages est perturbée. A la maison, l’écrit n’est pas valorisé, les parents transmettent leur propre vécu d’échec scolaire. « L’échec scolaire est alors autant le produit d’un conflit entre l’école et l’enfant qu’entre l’enfant et les membres de sa famille » (Lahire, 1995). Parfois, le refus des apprentissages signe le désir d’appartenance de l’enfant à son groupe familial. Si les parents sont illettrés, l’enfant ne veut pas les « dépasser », maîtriser l’écrit que ses parents n’ont pas investi. Son sentiment d’appartenance à un clan l’amène à refuser les apprentissages.

Une troisième origine de difficultés scolaires est linguistique. L’enfant a des difficultés de compréhension de ce qu’il lit et souvent plus encore pour élaborer ce qu’il a à écrire. Ces difficultés peuvent être liées à un trouble linguistique de type dysphasie développementale. Elles sont aussi et plus souvent, en relation avec le groupe évoqué précédemment dont l’environnement linguistique est souvent restreint et ne favorise pas la maîtrise du langage élaboré requis par les apprentissages scolaires (Bernstein, 1975).

Enfin, certains élèves ont des difficultés globales d’apprentissage ; ils n’ont pas les compétences requises pour accéder au programme proposé: langage peu élaboré, manque de logique, difficultés d’abstraction… Pour certains, ces difficultés cognitives sont intrinsèques, pour d’autres, elles semblent acquises. Ils ont vécu précocement une situation d’échec scolaire, deviennent passifs puis incompétents devant les nouveaux apprentissages proposés au fil de la scolarité. Les programmes, les consignes scolaires leur échappent, leur niveau d’apprentissages ne leur permettant pas de s’y investir.

Bien-sûr, certains enfants cumulent ces difficultés et s’engagent alors d’autant plus vite dans la spirale de l’échec scolaire, les troubles d’apprentissage générant des troubles du comportement qui, à leur tour, renforcent les troubles d’apprentissages.

A ces origines diverses correspondent des difficultés et des modalités d’aides différentes. On se contente trop souvent d’évaluer, de quantifier les difficultés d’un élève. Au-delà de ce repérage, il est indispensable d’identifier l’origine des difficultés si l’on veut s’engager efficacement dans la lutte contre l’échec scolaire massif.

 

Parlons dyslexie.

La dyslexie se définit comme un trouble spécifique et persistant d’apprentissage de la langue écrite, se manifestant chez des enfants de niveau d’efficience intellectuelle normal, sans problèmes sensoriels primaires (visuels ou auditifs), sans trouble psychique grave, ayant toujours été normalement scolarisés, et issus de milieux socio-culturels normalement stimulants. Elle s’accompagne systématiquement d’une dysorthographie, toujours plus sévère que la dyslexie.

Les origines en restent hypothétiques, même si la plupart des auteurs s’entendent pour considérer qu’elles sont sûrement multifactorielles, qu’il existe une composante génétique et qu’elle correspond à un dysfonctionnement neuropsychologique.

On distingue actuellement quatre types de dyslexies en se basant sur le type d’erreurs faites par les enfants et donc sur les origines du trouble : les dyslexies phonologiques (difficultés portant essentiellement sur la voie d’assemblage), les dyslexies dyséïdétiques (difficultés affectant principalement la voie d’adressage), les dyslexies mixtes (difficultés portant sur les deux voies de lecture) et les dyslexies visuo-attentionnelles (difficultés causées par un problème de reconnaissance visuelle et de troubles de l’attention, qui s’associent au trouble lexique). On retrouve les mêmes types de dysorthographies.

Son diagnostic est long, difficile, et pluridisciplinaire. Il se pose d’abord par exclusion, éliminant toute origine intellectuelle, sensorielle, affective, environnementale aux difficultés (même si nous sommes tous conscients qu’un enfant peut cumuler plusieurs troubles ou difficultés ). Le diagnostic nécessite donc différents bilans, et en particulier un bilan orthophonique et un bilan psychologique et psychométrique permettant de s’assurer que l’élève a un développement intellectuel et affectif correspondant à la moyenne de son groupe d’âge.

L’évocation d’une dyslexie-dysorthographie ne se fait que sur des critères de sévérité (- deux écarts types aux tests standardisés), de durée et de résistance (aux soins et à la pédagogie), de signes de déviance (tendance à complexifier l’orthographe ou à produire plusieurs orthographes pour un même mot).

Le bilan orthophonique, associé aux bilans complémentaires est :

- quantitatif (il situe la sévérité du trouble),

- qualitatif (il détermine le type de difficultés, les compensations trouvées, la spécificité du trouble),

- de recherche causale (il identifie les domaines sous jacents performants et ceux qui sont déficitaires – conscience phonologique – mémoire visuelle – attention…).

Seul un tel diagnostic, enrichi du constat des parents et des enseignants, peut permettre l’élaboration d’un projet thérapeutique cohérent, complémentaire au projet pédagogique.

 

Etre élève et dyslexique :

L’enfant dyslexique n’a pas de déficit cognitif, il est motivé pour l’échange et les apprentissages mais souvent vite menacé par l’échec scolaire, par la souffrance et l’exclusion qui en découlent.

Les troubles du comportement, longtemps considérés à l’origine de la dyslexie ne sont en réalité

qu’une des conséquences. Conséquences de la non reconnaissance des potentialités de l’enfant, de ses efforts. Conséquences de la mauvaise interprétation de ses difficultés : on pense, on dit qu’il est paresseux, inattentif, peu motivé, désinvesti…

S’il ne l’est pas, il peut pourtant le devenir ; d’autant plus qu’il ne comprend pas lui-même l’origine de ses difficultés. Enfant ordinaire jusqu’au CP, ses efforts deviennent vains lorsqu’il est confronté à l’apprentissage de l’écrit. Ses copains réussissent, là où il échoue… ses parents semblent inquiets, souvent mécontents, ses enseignants le jugent mal… apathie, inhibition ou au contraire instabilité peuvent alors devenir son refuge, une sorte de justification de son échec.

 

Comment repérer les troubles dyslexiques à l’école ?

La plupart des enseignants disent être surpris par les performances hétérogènes de l’élève dyslexique : ses performances à l’écrit sont en décalage important avec ce qu’il comprend et produit à l’oral. Il se passionne lors d’un exposé, a des réponses pertinentes lorsqu’il est interrogé à l’oral, mais s’effondre lors d’une dictée, refuse de lire à voix haute, produit des écrits parfois illisibles !

Ces écrits, si on prend le temps de les lire, sont eux-aussi surprenants ; l’enfant peut ainsi écrire plusieurs fois le même mot différemment, est incapable de retrouver ses erreurs, parfois même de se relire ; plutôt que de simplifier, il a tendance à complexifier l’orthographe de certains mots, comme si, bien conscient de ses difficultés et des irrégularités de l’orthographe, il essayait, par tâtonnements, de trouver la bonne graphie. Ainsi, « fusil » sera écrit « phuzi », « odeur » devient « haudeure », « observé » est écrit « aubre cervé », rendant la lecture encore bien plus difficile que si l’orthographe n’était que phonétique.

Ces caractéristiques comportementales et d’écrit doivent alerter un enseignant. Une autre stratégie de repérage s’appuie sur une différenciation des enfants en difficulté à l’écrit. Ainsi, devant l’échec de quelques élèves suite à la lecture d’une consigne écrite, on peut distinguer, en demandant à chaque enfant de lire la consigne à voix haute :

  • Ceux qui décodent sans problème majeur (leur lecture est fluide ou à peine hésitante), mais qui, néanmoins, ne peuvent répondre à la consigne.

> l’enseignant leur propose de lire la même consigne, mais simplifiée sur le plan linguistique, tant sur le plan lexical que sur celui de la syntaxe :

  • Pour ceux qui réussissent alors, on peut considérer que la difficulté est linguistique. Les aides porteront alors sur une formulation simplifiée, une explication des termes utilisés, dans un langage accessible à l’enfant.
  • Pour ceux qui maintiennent leur incompréhension, on s’orientera vers une hypothèse de manque d’investissement ou de carence de connaissances.

 

  • Ceux dont les difficultés de décodage interpellent (lecture ânonnante, confusions de sons et/ou de mots…) et qui échouent à la consigne :

> l’enseignant leur lit la consigne à voix haute :

  • Pour ceux qui réussissent à partir de cette consigne orale, se pose l’hypothèse d’une dyslexie. Un dépistage doit être proposé.
  • Pour ceux qui restent en échec, peut être envisagé un déficit cognitif, qui mérite d’être confirmé par un spécialiste, et peut-être une réorientation.

 

L’enseignant ne peut diagnostiquer une dyslexie ; il peut, par contre, (doit ?) la repérer et orienter l’enfant concerné vers le médecin scolaire, qui jugera des conduites à tenir : démarches de dépistage, bilan psychologique, bilan orthophonique…, visant au diagnostic différentiel, pluridisciplinaire, que nous évoquions plus haut.

Il a aussi à aider chaque élève à réussir sa scolarité au mieux de ses potentialités.

 

Comment aider l’élève dyslexique à l’école ?

Ces aides s’organisent, chaque fois que c’est possible, en partenariat avec l’orthophoniste, si l’enfant est suivi en rééducation et avec les parents.

En classe, les aides sont multiples. Nous ne pourrons toutes les citer ici et vous renvoyons vers un site internet que nous avons créé avec deux étudiantes en orthophonie, dans le cadre de leur mémoire de fin d’étude : Dix sur Dys.

Précisons quand même comment peuvent se concevoir ces aides :

- aides transversales, pour limiter l’impact de ce trouble sur les résultats scolaires :

valoriser l’enfant, adapter les évaluations, impliquer les parents, utilisation des nouvelles technologies (ordinateur, logiciels adaptés), veiller à la qualité des documents de travail de l’élève….

- Démarches de renforcement de l’écrit qui visent à améliorer la compétence déficitaire chez un élève, ici, l’écrit. Elles s’appuient sur l’apport de redondances utilisant les canaux performants (ex : gestes ou sensations kinesthésiques pour les confusions de phonèmes proches, aides mnémotechniques …) (Crunelle et al, 2008).

- démarches de remédiations, qui permettent, en rééducation, ou en petits groupes de besoin à l’école, de travailler les       

compétences socles déficitaires (conscience phonologique, mémoire visuelle, informativité…) ( Crunelle et al, 2008).

- les aides dites de contournement qui permettent à l’enfant de réaliser ses apprentissages malgré ses difficultés.

On peut distinguer 3 types de contournement :

- une réduction d’exigences ou l’octroi d’un temps supplémentaire proposé aux enfants lents, qui souffrent de troubles attentionnels ou en difficulté mais capables d’auto correction.

Ils bénéficient de temps supplémentaires, ou si l’exercice proposé est raccourci, ils peuvent, sur le temps qui reste, se relire et s’auto corriger.

- l’utilisation d’un ordinateur avec correcteur orthographique qui rend l’écrit plus intelligible voire plus riche et qui évite l’évocation de la trace graphique.

- une pédagogie à l’oral pour les enfants ayant un bon niveau de langage oral mais qui ne maîtrisent pas le code écrit.

 

Nous y ajouterons une démarche de simplification linguistique, pour les enfants qui rencontrent des difficultés de ce type.

 

Les trois premières adaptations pédagogiques, dites de contournement, correspondent aux aménagements d’examens qui peuvent parfois être accordés aux jeunes dyslexiques, si leur trouble est jugé assez sévère. Ces aménagements n’ont de sens que s’ils sont régulièrement préparés et proposés en classe, et ce, tout au long de la scolarité.

L’identification de la stratégie de contournement qui correspond à un élève est souvent difficile. Pour y aider, nous avons conçu un outil, qui ne se veut en rien outil diagnostic : le PIAPEDE (Protocole d’Identification de l’Aménagement Pédagogique qui correspond à un Elève en Difficulté à l’Ecrit). Ce protocole n’est pas réservé aux élèves présentant une dyslexie ; il s’adresse à tout élève en difficulté sévère à l’écrit, tels que nous les définissions en début d’article, du CE2 à la terminale.

 

Ces différentes adaptations sont complémentaires et individualisées. Elles s’organisent différemment selon la sévérité du trouble, selon le niveau scolaire de l’élève et selon la matière enseignée.

 

L’élève dyslexique est un enfant intelligent, atteint d’un handicap « invisible ». On est parfois tenté de le nier, plus souvent encore, de vouloir le réparer, convaincus que nous sommes, qu’à force d’efforts, de pédagogie, d’exercices… C’est aussi absurde que d’imaginer qu’un élève en fauteuil roulant pourra, à force d’entraînement, sauter en hauteur ou courir le 100 mètres. Confronté à un handicap visible, il est plus aisé de trouver des solutions ; proposer, par exemple, une démarche handisport, la course… mais en fauteuil. Alors, pourquoi est-il aussi difficile de convaincre certains enseignants que la dyslexie est, elle-aussi, un véritable handicap, que les exercices de copie et d’écriture n’y changeront rien, et qu’il faut permettre à l’élève dyslexique d’apprendre autrement ?

 

Les enseignants ont un rôle difficile : accueillir au mieux à l’école les enfants en difficulté scolaire, identifier les problèmes qu’ils rencontrent et leurs origines, orienter ceux qui en relèvent vers d’autres professionnels, et apporter à tous les aides pédagogiques adaptées. Plus l’enfant grandit, plus la situation est complexe, et nous ne saurions trop insister sur l’importance d’un repérage et d’aides adaptées les plus précoces possibles.

Tout enfant passe beaucoup de temps à l’école ; c’est là qu’il se construit, tant sur le plan des apprentissages que sur le plan psychique. L’attitude des enseignants est déterminante sur l’ estime qu’a l’enfant de lui-même et sur sa motivation.

L’élève dyslexique doit trouver à l’école, à tout âge et à tout niveau de scolarité, les aides utiles à son épanouissement et à sa réussite. Lui proposer une pédagogie différenciée, ce n’est pas le privilégier, c’est le respecter dans sa différence.

« L’école est au premier plan bien sûr, étant le premier maillon de la chaîne (repérage, dépistage, réponses pédagogiques de première intention), mais aussi tout au long du processus : les soins dans le domaine des troubles de l’apprentissage où l’expression du trouble est à l’école ne peuvent être optimisés, qu’associés aux adaptations pédagogiques appropriées » (Vallée et Dellatolas, 2005).

 

Références bibliographiques :

 

BERNSTEIN B. (1975), Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, Paris, Les Editions de Minuit.

CRUNELLE D. (2008), Dyslexie ou difficultés scolaires au collège : quelles pédagogies, quelles remédiations ? Tome 1, CRDP, Lille

CRUNELLE D. (2010) Identifier l’Aménagement Pédagogique pour un Elève en Difficulté à l’Ecrit (PIAPEDE) : un partenariat orthophonistes – enseignants. Revue Langage et Pratiques, Suisse

LACOSTE O. (1994), Géopolitique de la santé. Le cas du Nord-Pas-de-Calais, Lille, Enquête du Conseil Régional.

PIQUART A., CAPIOMONT G., OBERTIN O. (1987), A la rencontre de l’enfant de milieu très défavorisé ou ambiguïté du retard psychiatrique sur ces « gens-là », Psychiatrie de l’enfant, volume XXX.

RAPPORT INSERM (2007) Troubles de l’apprentissage.

VALLEE L., DELLATOLAS G. (2005) « Recommandations sur les outils de Repérage, Dépistage et Diagnostic pour les Enfants atteints d’un Trouble Spécifique du Langage ». Rapport de la commission d’experts chargée d’élaborer au niveau national des recommandations sur les outils à usage des professionnels de l’enfance dans le cadre du plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage.

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